Après l’échec du forcement naval des Détroits le 18 mars, les Franco-Britanniques décident d’adopter la solution du débarquement massif de troupes pour neutraliser les défenses ottomanes et permettre le passage de la flotte combinée pour enfin atteindre Istanbul. Voici notre étude du plan de débarquement mis au point par les Britanniques sous la direction du patron de la M.E.F : Sir Ian Hamilton.
Tout d’abord, comme l’écrit Peter Hart dans son Gallipoli : « les britanniques oublient souvent qu’il y a deux partis qui s’affrontent dans n’importe quelle confrontation et ils ont cette habitude de considérer que les actions de leurs généraux sont d’une certaine manière le facteur principal qui décide du sort d’une campagne ou d’une bataille, que la situation d’ensemble, les tactiques et les qualités de l’adversaire non pas d’importance ». A aucun moment les planificateurs ne prendront en compte la présence avérée d’officiers allemands auprès des états-majors ottomans ni ne prendront au sérieux la combativité des soldats turcs. Ils négligeront donc deux facteurs essentiels. La qualité des travaux de fortifications effectués sous la direction des Allemands et la résilience extraordinaire des défenseurs.
C’est donc cet état d’esprit qui prévaut à la planification menée par Hamilton, accompagné du général d’Amade, dès le 18 mars où alors que la flotte bombarde les défenses ottomanes, il profite de l’occasion pour longer la côte ouest de la péninsule à bord du destroyer Phaëton. Le premier constat de cette reconnaissance, c’est que la côte asiatique ne permet pas un débarquement à la fois parce que les Ottomans pourrait le contrer facilement depuis l’Anatolie mais aussi parce qu’elle est dominée par les hauteurs de la péninsule (rive européenne). Enfin, un débarquement au nord de la péninsule, dans le Golfe de Saros, est également proscrit car il exposerait très rapidement à des contre-attaques sur les flancs des unités débarquées.
C’est le 10 avril que, selon général Aspinall-Oglander, le plan d’Hamilton est arrêté après une réunion à Lemnos avec les amiraux Robeck et Wemyss.
Cinq plages potentielles sont identifiées dans la pointe sud de la péninsule. Elle reçoivent les dénominations suivantes : S, V, W, X et Y (voir carte ci-dessous). Le débarquement principal s’effectuera sur la plage V avec les forces de la 29th Division britannique (1/Royal Munster Fusiliers, 1/Royal Dublin Fusiliers, 2/Hampshire Regiment). Cette plage se situait en face du fort et du village de Sedd-ul-Bahr. Les forces débarquées sur les plages S, W et X doivent prendre de flancs les défenseurs de la plage V. Enfin, le 1/Kings Own Scottish Borderers et le Plymouth Batallion de la Royal Naval Division doivent couper les voies de communications et de retraite en débarquant au nord sur la plage Y . Le plan d’Hamilton prévoit que toutes ces unités se rassembleront en fin de matinée pour prendre d’assaut le village de Krithia et le mont Achi Baba (217 m) avant le crépuscule du jour J. Pour ces cinq plages c’est un total de près de 5 000 hommes qui devront débarquer dans la première vague. Les troupes françaises sont tenues en réserve. Ce secteur du front est confié au général Hunter-Weston, le commandant de la 29th Division.
Dans le même temps, deux attaques secondaires sont prévues et une feinte de débarquement. La première concerne directement le C.E.O et plus particulièrement le 6ème Régiment Mixte Colonial qui doit débarquer à Kum Kalé sur la rive asiatique pour effectuer une diversion en force et semer le doute chez les Ottomans quant aux intentions réelles des Alliés. La seconde attaque est prévue au nord du cap de Gaba Tepe et concerne les forces de l’ANZAC (4 000 hommes débarqués en deux vagues). La plage de débarquement est baptisée Z. L’objectif des soldats des antipodes est de couper la péninsule en deux. Enfin, le gros de la Royal Naval Division doit feinter un débarquement au fond du Golfe de Saros pour là encore tromper l’ennemi et menacer les lignes de défense de Boulaïr. Bien sûr, les débarquements seront couverts par les feux des bâtiments de la flotte combinée. On compte beaucoup sur l’efficacité du bombardement naval des défenses ottomanes pour que l’approche des embarcations chargées de fantassins se déroules sans difficulté majeure.
Dernier point, les navires français feront aussi une démonstration dans la Baie de Besika (sud de Kum Kalé) pour fixer les troupes ottomanes dans ce secteur et les empêcher de renforcer les défenseurs de Kum Kalé.
Le premier problème de ce plan ambitieux repose sur la dispersion des forces engagées pour prendre pied sur la péninsule. Les Britanniques sont tellement confiants et sûrs que les Ottomans s’enfuiront dès que leurs soldats auront pris pied sur les plages en est la cause principale. La morgue qui prévaut chez eux de la supériorité des Blancs sur les autres peuples pour faire la guerre est toujours vivace. Par ailleurs, la rédaction du plan et des ordres détaillés par Hamilton manque cruellement de clarté et porte à confusion. Cela se fera durement ressentir le 25 avril.
Le second écueil vient des moyens pratiques mis en oeuvre pour le débarquement lui-même. A l’exception de la plage V, où les Britanniques comptent débarquer directement depuis un vieux charbonnier, le River Clyde, qu’ils veulent échouer proue en avant en face du fort de Sedd-ul-Bahr, l’ensemble du débarquement de la première vague doit s’effectuer à partir des navires de guerre à l’aide de canots remorqués par des chaloupes à moteur. Les derniers mètres doivent être accomplis à la rame sous le feu de l’ennemi ! Cela démontre là encore le peu de crédit accordé à la valeur des soldats turcs.
Bref, comme le plan de forcement naval des Détroits, le plan de débarquement est tout aussi fragile et présomptueux. Il faut également souligner que l’Etat-Major du C.E.O ne participe pas à l’élaboration de ce plan.
SYLVAIN FERREIRA
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