Qui commande le C.E.O ?

Lorsque le gouvernement français décide de créer le Corps Expéditionnaire d’Orient le 24 février 1915, sa mission n’est pas encore définie clairement mais il est sûr que cette nouvelle unité assumera un rôle stratégique important dans une mission commune avec nos alliés britanniques. On s’attendrait donc à ce que le commandant nommé à sa tête soit un général de premier choix. Or, le C.E.O. ne représente rien de sérieux dans les plans de Joffre. Aussi nomme-t-il le très controversé général d’Amade.

Né le 24 décembre 1856 à Toulouse, Albert d’Amade entre à Saint-Cyr en 1874 pour en ressortir deux ans plus tard avec le grade de sous-lieutenant. Comme presque tous les officiers de la jeune IIIème République naissante, il se destine à une carrière coloniale. Son premier commandement sera donc au 3ème Régiment de Tirailleurs Algériens de Constantine. Il poursuit ensuite son ascension dans la hiérarchie militaire en occupant plusieurs commandements en Indochine où il participe à l’occupation du Tonkin (1885). Au tournant du siècle, il est attaché militaire auprès de la légation militaire en Chine (1901) puis en Grande-Bretagne (1901-1904). Il part à cette occasion dans le Transvaal pour assister à la Guerre des Boers.

Sa carrière bascule en 1907, alors qu’il vient d’être promu général de brigade et qu’il est envoyé au Maroc pour rétablir l’ordre dans la Chaouïa. Véritable opération de pacification contre les rebelles, l’action du général d’Amade n’épargne les populations civiles ni les villes comme Casablanca. Il y gagnera le triste surnom de « boucher de la Chaouïa ».

Couverture de l'hebdomadaire libertaire "Les hommes du jour" stigmatisant la pacification de la Chaouïa par d'Amade.

Couverture de l’hebdomadaire libertaire « Les hommes du jour » stigmatisant la pacification de la Chaouïa par d’Amade.

Malgré cette réputation sanglante, le gouvernement lui conserve sa confiance. Derrière les colonnes de l’armée française, d’Amade fait preuve d’un grand talent d’administrateur et de bâtisseur (installation du télégraphe, réforme fiscale, création des Goums) qui fait de lui le parfait précurseur de Lyautey. Son passage remarqué au Maroc lui vaut une promotion à son retour en France en 1908 où il est nommé général de division. Son avancement se poursuit avec régularité jusqu’en 1914 où à la veille de la guerre il intègre le prestigieux Conseil supérieur de la guerre.

Malheureusement pour cette étoile montante du régime, il se couvre de honte à l’été 1914 alors qu’il est à la tête d’un Groupe de Divisions Territoriales en charge de la défense de Maubeuge à Dunkerque. Il fait reculer ses unités dans la plus grande improvisation et sans coordination avec ses subordonnés jusqu’à Rouen ! Le 17 septembre, Joffre le limoge pour refus d’obéissance. Certains commentateurs contemporains l’accusent d’avoir préféré épargner le régiment de Mamers (Sarthe) placé sous son commandement, pour plaire à son célèbre ami le député de Mamers : Joseph Caillaux.

Tenté à l’idée de rejoindre la Légion pour recouvrir son honneur, il en est empêché puisqu’il n’a pas été cassé de son grade de général. Contre toute attente après une attitude aussi lâche et inadmissible de la part d’un officier général en temps de guerre, Joffre le nomme commandant-en-chef du Corps Expéditionnaire d’Orient, en s’appuyant l’expérience coloniale d’Amade au Maroc. Par ailleurs, l’opposition de Joffre à la stratégie méditerranéenne du gouvernement, qui s’aligne en sur une proposition britannique, semble, à mes yeux, avoir joué un rôle prépondérant dans le choix d’un officier en disgrâce. Toujours est-il qu’à la veille du débarquement aux Dardanelles, les forces françaises sur terre (C.E.O.) et sur mer (voir notre biographie sur Guépratte) sont commandées par des officiers aux compétences douteuses.

SYLVAIN FERREIRA