Dulce et decorum est pro patria mori

Alors que le C.E.O a reçu le renfort de sa deuxième division, les effectifs coincés dans l’isthme s’élèvent à plus de 20 000 h côté français. L’organisation du quotidien et de l’arrière-front est aussi un révélateur des misères et des vicissitudes endurées par les poilus d’Orient.

Le premier constat qui frappe les visiteurs comme Albert Londres, c’est le danger permanent qui pèse sur l’ensemble du dispositif allié, il n’y a pas « d’arrière » pour se reposer. Le célèbre journaliste écrira à propos du C.E.O dans un article paru le 3 juin 1915 dans le Petit Journal que « ses cuisines, son quartier général, ses ambulances, son ravitaillement, ce qui n’est presque toujours que dans la zone de bruit, se trouve ici dans le rayons des éclats. Mettre le pied à terre, que ce soit au Cap Helles, à Sedd-ul-Bahr, à Eski-Hissarlick, c’es le mettre dans la bataille. La lutte est à bout portant. »

Même le terrain d’aviation aménagé pour les avions de l’escadrille MF 98 T et leurs homologues britanniques est sous le feu des canons ottomans, et plusieurs appareils seront ainsi détruits après des atterrissages d’urgence.

Ambulance francaise dans fort turcLR

Ambulance française à Sedd-ul-Bahr

Une fois encore, l’intendance n’a pas prévu une campagne longue, aveuglée par des états-majors trop suffisants. Il n’y a donc aucune infrastructure pour permettre aux soldats de se reposer ou d’acheter de quoi améliorer un ordinaire bien fade. Comme leurs glorieux aînés partis en 1855 à la conquête de la Crimée, on les compare à l’armée de Bourbaki tant leur dénuement est grand. Mais les soldats majoritairement issus des troupes coloniales sont des débrouillards nés. Ils organisent rapidement des trafics avec les marins de la Royale. L’approvisionnement en eau est insuffisant, et au cœur de l’été, il faudra la rationner. Les cas d’insolation et de déshydratation seront nombreux.

Troupes coloniales au repos près d'un cimetière

Troupes coloniales au repos près d’un cimetière

Les poux et la vermine sont, comme Europe, le lot quotidien des hommes. A ces misères s’ajoutent les maladies bien sûr mais aussi les mouches et les moustiques. La dysenterie et la dengue feront des ravages tout au long de la campagne. Quand l’hiver viendra, les troupes habituées au climat des colonies seront surprises par le froid. Manquant de bois de chauffage, les poilus finiront par déterrer les racines des arbres pour se chauffer, les branches et surtout les troncs ayant servi à étayer les tranchées et les abris. L’hygiène personnelle est déplorable faute de latrines dignes de ce nom. Elles sont impossibles à installer faute de zone sûre en arrière des tranchées. Les excréments humains jonchent le champ de bataille. Faute de papier toilette, les lettres personnelles ou la végétation servent d’expédients, quand il ne s’agit pas des mains des soldats ou de leurs uniformes. A la fin de la campagne plus de 47 000 soldats du C.E.O auront été enregistrés comme malades entre avril et décembre 1915.

Troupes au repos 2

Soldats trillant des tenues vestimentaires.

L’apparition des sous-marins allemands dans le détroit affecte à la fois le soutien tactique des troupes combattantes désormais dépourvues du soutien de l’artillerie navale, mais aussi le ravitaillement dont l’acheminement est ralenti. En plus des rotations en première ligne où le général Gouraud a engagé des travaux d’améliorations des tranchées, il faut assurer l’évacuation vers Moudros des blessés mais aussi des prisonniers turcs qui partagent les mêmes misères que les combattants. Les blessés agonisent pendant des heures sous le soleil, sans secours, couverts de mouches qui colportent entre autres la dysenterie. Le Service de Santé est débordé par l’ampleur des pertes et du nombre de blessés quotidien. Le taux de mortalité des blessés est bien plus élevé que sur le front français.

Évacuation d'un blessé sur un navire.

Évacuation d’un blessé sur un navire.

On imagine donc la désillusion, tant pour les troupes débarquées le 25 avril qui s’attendaient à une nouvelle campagne coloniale contre un ennemi incapable de leur résister, que des troupes qui débarquent depuis début mai au milieu des bombardements de l’artillerie turque, de l’odeur suffocante des cadavres en putréfaction, des mouches et la chaleur bientôt accablante.

SYLVAIN FERREIRA

PS/Le titre de cet article est une reprise d’un poème des Odes d’Horace et se traduit comme suit :
« Il est doux et honorable de mourir pour sa patrie »