Le bilan du débarquement

Après l’échec de l’assaut sur Krithia, il apparaît clairement que le plan élaboré par Sir Ian Hamilton et son état-major a logiquement échoué face à celui des Turcs et de Liman von Sanders. Outre les défauts de conception déjà évoqués, il est clair que les Alliés ont également péché dans la gestion opérationnelle du débarquement et des combats qui ont suivi.

Trois jours après le débarquement, la 5ème Armée ottomane a réussi à contenir les forces alliées sur deux petites têtes de pont en leur infligeant de terribles pertes à la fois le Jour J mais aussi au cours des jours suivants.

La stratégie

Comme nous l’avons déjà évoqué, le délai pris par les Britanniques pour planifier le débarquement a laissé le temps aux Turcs de se renforcer et de préparer leurs défenses. De plus, l’idée d’un débarquement n’a pas fait l’objet d’une unanimité de vue au sein du War Council et a toujours été désapprouvé par Lord Kitchener, ministre de la Guerre. Par ailleurs, le plan d’Hamilton reposait sur trop d’inconnus et d’affirmations péremptoires sur le moral des troupes ottomanes sensée

A l’inverse, nous avons souligné combien le plan ottoman relevait d’une concertation globale (malgré l’opposition opérationnelle sur la méthode à suivre pour repousser les Alliés) et que Liman von Sanders avait non seulement su imposer sa stratégie à la 5ème Armée mais aussi su « répéter » par des manœuvres les différentes actions que devaient mener ses troupes en cas de débarquement.

La gestion opérationnelle

Tout d’abord, Hamilton, trop confiant dans la supériorité de ses troupes sur les Turcs, n’a pas jugé bon de créer une réserve opérationnelle pour intervenir en cas de problème. Par ailleurs, avec son état-major, il s’est concentré essentiellement sur la gestion logistique de l’expédition, certes primordiale, mais en délaissant aux colonels sur le terrain la gestion des combats.

Cela se manifeste notamment dans le choix qu’il fait de rester à bord du Queen Elizabeth pour superviser de loin les opérations à terre. On peut affirmer que dans les heures qui ont suivi le débarquement les Alliés avaient perdu l’initiative. Enfin, le plan d’Hamilton était beaucoup trop rigide et ne laissait aucune place à l’imprévu qui règne dans chaque bataille.

A l’inverse, von Sanders a envisagé plusieurs scénarios et son plan s’adaptera sans grande difficulté aux débarquements opérés par les Alliés. Soulignons la réflexion et la préparation de l’introduction des réserves (19ème Division de Moustapha Kemal) a fait l’objet d’une attention toute particulière pour être déclencher au moment opportun.

La tactique

Là encore, les Alliés pèchent puisque les généraux britanniques ou français ne peuvent pas contrôler ce qui se passe sur le terrain. L’arrivée du général d’Amade le 26 au matin à Koum Kalé ou celle de Vanderberg le 28 alors que la bataille de Krithia a commencé sont des exemples frappants. Côté britannique aucun des trois divisionnaires ne dirigent les opérations à terre. La gestion est abandonnée aux généraux de brigade. Cette grave lacune s’est particulièrement fait ressentir pour les deux divisions de l’ANZAC. Bref, à la fin de la première journée aucun objectif fixé par le plan n’est atteint à l’exception notable de la diversion menée par le C.E.O à Koum Kalé.

Encore une fois, et malgré une infériorité numérique locale sur les plages, les officiers turques à tous les échelons hiérarchiques ont su répondre en prenant des initiatives personnelles pour faire échouer les Alliés. L’exemple de la contre-attaque menée par Moustapha Kemal contre l’ANZAC illustre parfaitement cette souplesse dans la gestion tactique du commandement, ce qui correspond d’ailleurs à l’école de pensée militaire allemande. Ces initiatives ont pu être prises d’autant plus facilement que la communication entre les différents échelons de commandement permettaient aux états-majors de suivre l’évolution des combats quasiment en temps réel.

Une fin prévisible

C’est donc la victoire logique et prévisible d’une gestion globale professionnelle et motivée que couronne les combats du 25 au 28 avril. Le dilettantisme et l’arrogance des Alliés aboutiront à un blocage de la situation tactique et opérationnelle et toutes les tentatives qui se succéderont pour tenter de reprendre l’initiative connaîtront toutes la même fin malheureuse et prévisible. Les Alliés vont mettre huit longs mois à s’en rendre compte.

SYLVAIN FERREIRA